L'apprentissage des langues dès le plus jeune âge.
L'ambition, dans les cinq ans, est que tous les élèves de 6ème
apprennent deux langues vivantes, l'une commencée à l'école
primaire, l'autre débutée au collège. Elle est aussi d'ouvrir
les sections européennes dès la classe de 6ème.
Le 20 juin 2000, Jack Lang, ministre de l'éducation
nationale, présentait, à la presse, la nouvelle politique du gouvernement
français en matière d'enseignement
des langues étrangères. Dans une Europe où 47% des
personnes affirment ne connaître aucune langue étrangère,
il était grand temps que la France, à l'heure de l'année
européenne des langues 2001 , se penche, comme ses voisins,
sur la question en vue de prendre des mesures en faveur de l'apprentissage des
langues étrangères.
Un état des lieux
Cette prise de conscience est un phénomène relativement récent
en Europe et est directement liée à la construction européenne
et à son marché unique. En effet, si la libre circulation des
personnes au sein de l'Union Européenne n'a pas été une
mesure d'incitation suffisante à l'apprentissage d'une langue étrangère
pour les citoyens de l'UE, l'argument économique lié à
la libre circulation des marchandises et, à une autre échelle,
à la mondialisation a fait tomber les dernières réticences.
Ainsi, chacun s'accorde à dire que la maîtrise et l'utilisation
de la langue du client est un atout majeur dans le monde des affaires. Affirmation
corroborée par les conclusions du Livre
vert sur les obstacles à la mobilité transnationale
qui conclut: La méconnaissance des langues et de certains aspects culturels
demeurent deux des principaux obstacles à la mobilité.
Consciente de l'enjeu que représente l'apprentissage des langues étrangères
au sein de l'UE, la Direction Générale de l'Éducation et
de la Culture de la Commission européenne a commandé auprès
de l'INRA un sondage d'opinion
effectué dans les quinze États membres, sur la connaissance des
langues dans les différents pays de l'UE. Le rapport intitulé
Les
européens et les langues nous apporte de précieuses
informations sur ce sujet et nous révèle, que non seulement les
Européens ne sont que 53% à connaître une langue étrangère,
mais qu'ils ne sont que 26% à en connaître une seconde langue étrangère.
En ce qui concerne leur apprentissage, on constate que le lieu le plus répandu
pour apprendre une première langue étrangère est l'école
secondaire pour 59% des Européens, devant les vacances à l'étranger
(20%). À l'heure où le ministre de l'éducation annonce
la mise en place de son plan langues vivantes , les Luxembourgeois semblent
être en avance en la matière puisqu'ils sont 70% à déclarer
avoir appris une première langue étrangère dès l'école
primaire. Ils sont même 10% à avoir pris leurs premières
leçons à la crèche.
À quel âge a-t-on le plus de prédispositions pour
apprendre une langue?
N'est-il pas prématuré de vouloir enseigner les langues étrangères
dès le cours moyen, voire le cours élémentaire? Y a-t-il
un âge idéal pour apprendre les langues et, si oui, quel est-il?
Les recherches faites en neurobiologie démontrent que l'enfant dans la
période de six à douze mois perd de ses capacités distinctives.
Ayant entendu dans le ventre de sa mère la musique de sa langue maternelle,
le nouveau-né est extrêmement réceptif et est capable de
faire la distinction entre des signaux linguistiques très fins comme
-ba et -pa. Ses compétences ne sont pas simplement d'ordre phonétique,
mais également prosodique (rythme et intonation). Les intonations qu'imprime
la structure des phrases lui donnent de précieuses informations syntaxiques
sur sa langue maternelle. S'opère ensuite une sclérose des synapses
correspondant à l'absence de stimuli spécifiques à une
langue. Ainsi un enfant japonais reconnaissant le système phonologique
propre à sa langue maternelle confondra rapidement le -l et le -r. Cependant
cette récession n'est pas irréversible et jusqu'à l'âge
de dix ans l'enfant est capable d'acquérir une compétence comparable
à celle des locuteurs natifs.
Les travaux du Laboratoire
de Sciences Cognitives et Psycholinguistique du CNRS sont à
ce propos remarquables, notamment leur étude sur les bases cérébrales
de la perception
des phonèmes chez le nourrisson. Le LSCP, en collaboration avec le
laboratoire de psychologie de l'université de Harvard, a réussi
à démontrer que certains aspects de la perception de la parole
chez l'homme ont évolué à partir des propriétés
du système auditif ancestral des primates. Pour ce faire, ils ont familiarisé
des bébés français à des phrases néerlandaises
et japonaises. Lors du changement de langue, leurs réactions sont mesurées
par l'intermédiaire du degré de succion d'une tétine. Les
meilleurs résultats sont enregistrés lors de l'utilisation de
voix synthétiques évitant de soumettre les bébés
à une trop grande variabilité d'orateurs qui affecte leur capacité
de discrimination. L'emploi de voix synthétiques permet de passer les
phrases à l'envers et de constater que si les bébés sont
capables de faire la distinction entre les deux langues en lecture normale,
ils n'en sont plus capables dès que les phrases sont inversées.
La même expérience a été effectuée à
Harvard sur des singes tamarins dont les réactions ont été
mesurées grâce à l'orientation du regard vers le haut-parleur
diffusant les voix. Si, contrairement aux résultats obtenus avec les
bébés, on constate que la variabilité des locuteurs ne
perturbe en rien la perception des tamarins, ils obtiennent des résultats
similaires en ce qui concerne la différenciation entre les deux langues
aussi bien lues à l'endroit qu'à l'envers.
Si les résultats de cette étude révèlent que dès
les premiers mois, les nourrissons sont réceptifs aux langues étrangères,
ils mettent également en évidence des similitudes entre les systèmes
auditifs humain et simien ainsi que quelques différences. Rien n'indique,
en effet, que les nouveau-nés utilisent les mêmes indices que les
singes. Il semblerait qu'ils se basent sur les propriétés rythmiques
de la parole alors que les tamarins s'attacheraient davantage aux propriétés
phonétiques. Les résultats ont été publiés
dans le magazine Science du 14 avril 2000 sous le titre: Language
Discrimination by Human Newborns and by Cotton-top Tamarin Monkeys
Les langues étrangères dès l'école primaire?.
L'apprentissage des langues vivantes dans le premier degré n'est pas
chose nouvelle puisque, d'après la Direction de la programmation et du
développement (DPD), 28,4%
des élèves allant à l'école primaire ont suivi des
cours de langues étrangères au cours de l'année 1999, dont
82% en CM2 et 60% en CM1.
Les premières expériences in situ datent des années 60,
époque à laquelle inspiré par les travaux de chercheurs
ou par la conviction de parents ou d'enseignants, l'apprentissage des langues
étrangères avant le secondaire, voire même la maternelle
est testé ici et là. Il faudra attendre le 15 janvier 1987 pour
lire le premier texte officiel sur le sujet qui paraîtra dans le Bulletin
Officiel du 19 février 1987. 1989 sera l'année de la première
expérimentation d'ampleur nationale d'enseignement des langues vivantes
à l'école élémentaire. Elle posera les premiers
jalons de ce qui deviendra le plan langues vivantes qui prévoit à
la rentrée 2002 la généralisation des langues vivantes
à partir de la grande section de maternelle ou en cours préparatoire
(CP) et à partir de la classe élémentaire (CE2).
Pour le CE1 et le CE2, on parle d'initiation alors qu'aux CM1 et CM2 l'enseignement
des langues se conçoit en termes d'apprentissage et est dispensé
sous forme de séances courtes, régulières et représente
un volume d'une heure trente répartie sur la semaine. Les objectifs définis
par l'ONISEP
sont de:
- développer les capacités de compréhension des élèves
et les entraîner à écouter, percevoir, reconnaître
et reproduire les caractéristiques phonologiques de la langue étudiée
(rythme, sonorités, accentuation et intonations);
- amener les élèves à s'approprier, pour pouvoir s'exprimer,
quelques expressions courantes présentées dans des situations
fonctionnelles, diversifiées et motivantes, et à acquérir
des réflexes linguistiques.
L'enseignement précoce: oui, mais
La Commission européenne de son côté a dépêché
une équipe de six chercheurs de nationalités différentes
pour enquêter sur la question. Les conclusions de leurs recherches, réunies
sous le titre: L'enseignement
"précoce": quels résultats, dans quelles conditions?
reconnaissent la possibilité d'un effet positif de l'apprentissage précoce
des langues, en termes de compétences linguistiques, d'attitudes positives
à l'égard d'autres langues et cultures et sur le plan de la confiance
en soi. Cependant, les chercheurs insistent sur le fait que certaines conditions
doivent être réunies pour que l'expérience soit couronnée
de succès.
Un des points sensibles évoqués est celui de la diversité
linguistique. En effet, le choix de la langue reste une question controversée
puisque si les parents plébiscitent l'anglais, comme l'indique Claude
Hagège, professeur au Collège de France et membre du Conseil supérieur
de la langue française, lors du congrès du Syndicat des Enseignants
du 18 mars 1998, il s'agit, à l'école primaire, d'éviter
l' anglais unique qui ferait courir un risque
mortel aux autres langues européennes. C. Hagège de rappeler
que Comenius dans sa Didactica Magna (1632) recommandait d'enseigner aux enfants,
après la langue maternelle, une des langues des pays voisins, qui sont
indispensables pour entrer en relation avec eux . M. Hagège recommande
donc d'enseigner deux langues vivantes dès le primaire pour répondre
aux exigences de la vie actuelle. Et si l'on ne devait en enseigner qu'une seule,
l'anglais devrait être banni pour laisser la place à l'une des
cinq langues européennes efficaces de par leur rayonnement (espagnol,
allemand, italien, portugais et néerlandais, dans une plus faible mesure).
Les recommandations de l'étude menée à l'échelle
européenne vont en ce sens puisqu'elles conseillent de sensibiliser les
enfants à la diversité linguistique, au lieu de se fixer sur une
seule langue. Il conviendrait de favoriser les langues étrangères
parlées localement ou dans les régions voisines.
Comme on le voit, si les raisons de généraliser l'enseignement
précoce des langues étrangères en Europe sont nombreuses,
il ne faut pas négliger certains dangers potentiels dont celui de l'hégémonisme
de l'anglais qui relèverait plus de l'appauvrissement que de l'enrichissement.
Il ne faut pas oublier que de tout temps les langues ont été un
enjeu politique de grande importance et que chaque politique linguistique avait
des motivations bien précises dont, notamment, la colonisation. La question
cruciale que l'on doit se poser aujourd'hui est de savoir si c'est réellement
le multilinguisme que l'on recherche en Europe ou un bilinguisme risquant, à
terme, d'aboutir à un monolinguisme. Un bilinguisme composé d'une
langue vernaculaire (la langue nationale) et d'une langue véhiculaire
(l'anglais) pourrait rapidement mener à la disparition de la première
comme cela a déjà été le cas pour le gaulois, le
parthe et de nombreuses autres langues de peuples anciens.
Mais il s'agit là d'un autre sujet qui est celui du bilinguisme, voire
du trilinguisme au sein de l'Union Européenne. Nous aurons l'occasion
lors d'un prochain rendez-vous de nous pencher sur la question.
X.BIHAN
© 2001, X. BIHAN. Tous droits réservés.